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Blogspot de Bruno Serrou
— 06 avril 2012
Amphithéâtre de l'Opéra Bastille
par Bruno Serrou

Gilbert Amy est de la génération qui suit immédiatement celle de Pierre Boulez, Luciano Berio, Luigi Nono et Karlheinz Stockhausen. Il a d’ailleurs succédé au premier de ces aînés à la tête du Domaine Musical lorsque ce dernier décida de quitter la France à la suite de désaccords avec André Malraux, alors ministre de la Culture. Né en 1936, compositeur, chef d’orchestre, pédagogue, Gilbert Amy, par ailleurs passionné d’architecture, est également un bâtisseur, puisqu’il a fondé en 1976 l(e Nouvel) Orchestre Philharmonique de Radio France dont il sera le directeur artistique jusqu’en 1981, et il a été le deuxième directeur du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon, qu’il a animé pendant seize ans, jusqu’en 2000. Malgré ses multiples activités, Amy reste avant tout un compositeur. Au sein d’un catalogue riche en pièces instrumentales, de chambre, pour ensembles et pour orchestre, la voix et le texte occupent une place privilégiée, depuis OEil de fumée en 1955 jusqu’à son opéra le Premier Cercle d’après le roman éponyme d’Alexandre Soljenitsyne créé à l’Opéra de Lyon, son commanditaire, en 1999. Amy s’intéresse également à la musique spirituelle puisque, en 1988, il a composé une Missa con jubilo, et, en 2005, les Litanies pour Ronchamp, cette dernière oeuvre ayant fait l’objet du concert d’hier soir dans l’Amphithéâtre de l’Opéra Bastille (1).

Créées le 24 septembre 2005 sous la direction de Rachid Safir pour la consécration par l’archevêque de Besançon Mgr André Lacrampe de la chapelle Notre-Dame-du-Haut de Ronchamp en Haute-Saône bâtie entre 1950 et 1955 par Le Corbusier, les Litanies pour Ronchamp requièrent un effectif original judicieusement adapté aux dimensions intimistes de la chapelle de Ronchamp, puisqu’elles sont écrites pour deux chantres solistes, un ensemble vocal de huit voix mixtes, un quatuor à cordes et

percussion, et se déploient sur quatre vingt quinze minutes. Le compositeur intègre à son rituel des antiennes de plain-chant, de la polyphonie primitive du XIe siècle, mais aussi des extraits du Kyrie et de l’Agnus Dei de sa propre Missa con jubilo, et jusqu’au mouvement lent du Quatuor à cordes n° 15 en la mineur op. 132 de Beethoven, tandis que l’oeuvre se fonde sur des textes latins de Jacques Merlo Horstius (1597-1644), du paroissien romain et de l’hymnaire grégorien, des fragments de textes français de l’Ancien Testament (Siracide ou Livre de l’Ecclésiastique) et de l’architecte Le Corbusier, ainsi que sur des écrits grecs tirés de l’hymne acathiste à la Mère de Dieu. Malgré emprunts et citations, l’oeuvre n’en est pas moins singulièrement originale et personnelle, typique du style d’Amy, à la fois rigoureux et lyrique, complexe et éminemment onirique. L’atmosphère générale est à l’introspection, à la douleur, à la retenue, tandis que le climat est intimiste et la musique réservée et souvent circonscrite aux limites du silence. Le compositeur signe ici ce qui est sans doute l’une des oeuvres les plus expressément spirituelles de ce début du XXIe siècle, et l’une de ses partitions les plus accomplies.

Fin connaisseur de la musique polyphonique à travers les siècles, notamment religieuse, s’imposant tout autant dans le plain-chant et la polyphonie médiévale et Renaissance que dans la création contemporaine, extrêment exigeant envers lui-même et pointilleux dans l’exécution des partitions qu’il défend, Rachid Safir a dirigé avec simplicité et sensibilité son excellent ensemble Solistes XXI constitué de chanteurs tous plus remarquables les uns que les autres (les sopranos Julie Hassler, Claudine Margely et Maryseult Wieczorek, la mezzo-soprano Daïa Durimel, les ténors Laurent David et Philippe Froeliger, enfin les barytons Jean-Sébastien

Nicolas et Jean-Christophe Jacques), qui ont répondu ou ponctué les extraordinaires interventions des deux chantres solistes, la basse Emmanuel Virstorky et, surtout, le ténor Dominique Vellard, animateur du superbe ensemble Gilles Binchois, à la voix au grain d’une beauté exceptionnelle et d’une solidité d’airain. Le Quatuor Parisii a joint avec allant et conviction les chaudes sonorités de ses archets, magnifiant et soutenant avec délicatesse les interventions des solistes et des tuttistes vocaux, à l’instar du percussionniste Abel Billard, qui passait d’un groupe d’instruments à l’autre en restant extrêmement concentré pour jouer une percussion toute en finesse et en nuances, n’atteignant que rarement le mezzo-forte. Seule infime réserve, les légers décalages perceptibles suscités occasionnellement par le second percussionniste dans les dernières minutes, et qui était assuré par l’un des deux ténors. A signaler la spatialisation et la scénographie conçues autour de photographies et d’une vidéo de Jacqueline Salmon réalisées sur le site de Ronchamp.

Un concert magnifique qui fait regretter les trop rares apparitions sur les scènes françaises de l’ensemble Solistes XXI de Rachid Safir qui est aujourd’hui l’un des tout meilleurs ambassadeurs de l’art du chant polyphonique français dans le monde, toutes époques confondues, régulièrement invité par les Festivals de Salzbourg, Lucerne, Hollande, Biennale de Venise, Ars Musica de Bruxelles, Musica de Strasbourg, ainsi qu'à Carnegie Hall à New York, etc.

Bruno Serrou

1) Le même concert est repris le 11 mai à 20h30 en l’église Saint-Pierre-Saint-Paul d’Ivry-sur-Seine et le 18 mai à 20h30 en la basilique Sainte-Anne d'Auray. Devrait suivre un CD dont l’enregistrement est prévu l’été prochain sur les lieux-mêmes de la création par le label Soupir.